De la jeunesse ?
Existe-t-il une forme immuable, essentielle de la jeunesse ? La jeunesse re lève-t-elle simplement d’un processus naturel, constant, ou plutôt de l’influence ou du conditionnement social ?
La jeunesse est-elle éternellement rebelle suivant l’exemple de Rimbaud, ou bien est-elle un panel choisi de consommateurs dont on encadre les goûts, les aspirations ? Oscillant entre la contestation, ou le conformisme, de l’esprit contestataire à la reproduction frileuse et passive de la tradition. Existerait il un seul modèle, un seul esprit, incarnant le souffle de la jeunesse ? Ne serait-ce qu’un état d’esprit, un désir de vivre ignorant le vieillissement ?
Peut-on voir la jeunesse comme un simple moment du cycle biologique et naturel de l’humanité. Le jeune est ce vieux qui sommeille et qui entrera un jour ou l’autre dans la sénilité le temps lui est compté. La jeunesse se perd et s’enfuit. Le temps fait ses ravages. La jeunesse deviendra un jour ce constat d’une fuite irréversible du temps. Profite de cette jeunesse. Uses-en ! Vis l’instant présent, la jeunesse n’est qu’un âge de la vie. Le reste est à venir. Les anciens et les modernes exprime la lutte entre des âges de la vie et des états des esprits qui va bientôt se répéter de manière caricaturale.
La jeunesse si elle est ce moment anthropologique, biologique, est marquée par cette vitalité, cette force, cet appétit de vivre la caractérise. Elle est fière de sa force ; elle croit que tout lui appartient, que tout se résume à elle. Qu’elle est le monde lui-même avec sa littérature, sa musique, ses divertissements. Que tout ce qui est s’identifie à elle-même. Nombriliste, elle découvre le passé, les vieux, la mort comme un espace lointain qui ne la concerne pas. « Vieux jeu, démodé, ringard, boomer, voici des qualificatifs qui deviendront bien vite les siens. My génération des who est cet hymne à une jeunesse qui refuse de se voir vieillir. Elle est tout entière dans sa superbe. Insolente, belle, et parfois stupide se confondant avec l’aube du monde. Forte d’une vitalité qui peut aller jusqu’au mépris. Vivre vite, jouer avec la vie, défier la mort. La fureur de vivre est une captation de cette frénésie dionysiaque. Répétée par les expériences interdites et les transgressions. Le flirt avec les sens et la mort est à l’œuvre. Comme dans » Light my fire » des Doors et chez bien d’autres passés ou à venir.
La négation de la mort, son éternité, son immédiateté sont des illusions. Les vieux nous entourent, ils nous rappellent les obligations du travail, les jeux du pouvoir et l’obéissance aux anciens. Le temps ne fait rien à l’affaire nous chante Brassens. Les jeunes cons seront bientôt ces bourgeois rassis et coincés. Bouleverser l’ordre, devenir dominant tel peut-être l’appétit de la jeune génération qui veut se faire reconnaître et qui débouche sur un conflit des générations renouvelé.
L’esprit de la jeunesse est si bien décrit dans « la Beauté du Diable ». Le professeur vieillissant, usé, se réincarne par le pacte avec le diable dans la fraîcheur d’un nouveau corps qui vante les charmes infinis de cette vitalité, de cette beauté des corps jeunes et avides. Cette même jeunesse idéalisée par la société qui devient iconique avec la jeunesse du moment, Delon, Jane Fonda et qui bientôt s’éclipsera renversée par une autre plus révolutionnaire. Les temps changent est l’hymne Dylanien. Tout ce qui usé sera bientôt renversé et encore et toujours !!!
La jeunesse peut aussi être passive ? Le bateau ivre de Rimbaud n’est pas sa tasse de thé !. Faible, conditionnée habilement. N’ayant comme horizon que la perpétuation de la tradition : être conformiste. Vouloir s’intégrer à tout prix. Reprendre les codes passés. Croire que seul compte ce futur de stabilité annoncé par le monde adulte et bien-pensant. Il faut réveiller la jeunesse, l’empêcher de s’installer d’emblée dans la vieillesse voilà qui est socratique, repris dans le cercle des poètes disparus qui nous rappelle de nouveau la figure du Carpe Diem. Cueille ta vie, ta jeunesse avant qu’elle ne se fane ; ne devient pas simplement un consommateur. On te fabrique une culture jeune ; avec des produits censés être l’idéal de la jeunesse. On te conditionne à penser, consommer. On t’étudie. On te « segmente ». On apprend ton langage. On te donne tes directions et des directives. On t’apprend à être jeune ! Il faut alors réapprendre le sens de la jeunesse. Fermer ton téléphone, jeter les oripeaux de la veille société. De nouveau s’enfuir et réinventer le monde avant que d’y succomber. Repartir sur la route. No direction Home. Comme le voulait Dylan Like a Rolling Stone, se laissant porter par cette insouciance qui bientôt va retrouver l’aspect tragique du monde. Notre jeunesse rentre alors dans les normes et les conventions desséchantes. Elle oublie ce qu’elle a été. Elle s’assimile au vieux. Elle renie sa folie. Elle s’épuise dans un ordre qui ne la satisfait plus et le regret de la jeunesse s’installe. La nostalgie d’une autre époque, de la belle époque, des années folles, d’un paradis perdu, alors que des réalités plus sombres s’annoncent devant nous, vieillir, disparaître, s’effacer.
Philippe Escudier - 2025