C’est une réalité matérielle et spirituelle que l’on confond avec le réel mais qui demeure beaucoup plus subtile. Objectif sans doute mais teinté de nos subjectivités, de la multiplicité des représentations et rapports au monde. Une donnée historique, sociale, économique mais aussi plurielle. Et dont nous ne voyons ni ne comprenons la diversité. Non pas unique mais fait d’une pluralité d’univers qui se croisent et parfois se déchirent. Le monde fait partie de nous, de notre mémoire, de notre vécu. Il est fait de notre existence, de nos actes, de notre passé. Il est tissé d’habitudes, de comportements, d’intersubjectivité. Il sert de repère, de délimitation. Il est une réalité vécue. C’est avant tout un monde humain qui n’est ni l’univers ou la nature. C’est notre monde. Celui avec lequel nous nous confondons et qui fait partie de notre être. Partagé, il est le monde commun, ce qui est créé, tissé, par une communauté d’idées, de valeurs, de goûts. Monde extérieur et intériorité se recoupent, se rencontrent. Dépendant étroitement de notre conscience historique et social. Il finit avec nous et se prolonge en dehors de nous. Le monde est avant tout un monde fait d’humains. Le monde c’est ce que NOUS lisons, regardons, pensons… Il est dans nos échanges et nos actions. Il est générationnel. Marqué par une époque qui se retrouve autour des mêmes représentations et de la subjectivité. C’est le partage des mêmes référents c’est-à-dire d’une culture commune qui nous donne notre identité. Il est constitué par nos proches, ce que nous avons aimé, détesté. Nos amours, nos haines. Constitué de technologies, il change au fil des évolutions techniques. Néolithique, âge du fer…le monde se transforme. Il a une histoire, une temporalité, une délimitation matérielle et concrète. Fait d’espace, de temps, il est constitué d’habitudes, repères, espaces, temporalité. Mais tout change. La jeunesse côtoie désormais la vieillesse. Nos enfants sont là. Nos parents disparaissent. Les modernes titillent les anciens. Le confit des générations se répète inlassablement. Le monde, le nôtre, s’estompe. Les années folles, la belle époque ne sont plus que des souvenirs. Le cinéma parlant arrive, les regrets d’une époque disparue arrivent en créant une nostalgie inconsolable pour l’ère du muet et d’une musique désuète fait de ragtimes sautillants qui seront bientôt remplacés par une musique plus syncopée, comme le dixieland par le Bebop, Duke Ellington par Coltrane et Miles Davis. Oui notre monde meurt avec nous, avec nos proches, avec toutes nos références, nos auteurs, nos acteurs. Il est générationnel ! Tout se remplace ; les singes suivent le chemin qui les conduit vers l’hiver. Blondin fait s’opposer les mondes. Gabin, Belmondo. Deux mondes, le yang Tsé Kiang et l’Espagne de la corrida ; Le passé est devenu lourd, le présent est étrange, inconnu. L’ancien monde se désagrège, un autre apparaît qui lui aussi sera remplacé par un autre. L’étrangeté du nouveau monde c’est que ce ressent l’acteur fatigué, le guépard. Mais aussi le vampire d’Anne Rice, nostalgique de la nouvelle Orléans qui voit disparaître l’ensemble des êtres côtoyés et aimés, traînant son immortalité comme un fardeau et une malédiction. Le monde commun, celui qui a été vécu finit bientôt dans les témoignages. Il investit la mémoire collective et bientôt il sera de l’histoire. Le monde finit de s’évanouir dès lors qu’il est raconté et qu’une distance complète s’est installé. Une mélancolie se créée comme celle devant la beauté d’Ava Gardner comme le chante Alain Souchon. Ce vieux monde nous le gardons, nous les contemporains comme un vestige, un endroit irréel, hors du temps. L’ancien monde est devenu un fantôme, une forme spectrale, seule compte le présent de notre propre monde qui va bientôt finir. Le monde nous rappelle la réalité du temps, que tout n’est que passage. Que la vie comme une mélodie s’estompe, belle et brève. Qu’il nous faut être présent à cette existence avant qu’elle ne nous échappe définitivement...
Philippe Escudier - 2025